Les couleurs du temps sont indéfinissables.
Bleu d’azur, dit-on, ou d’un rose passable.
Il nous conte fleurette et s’orage parfois.
Rouge de sang, de feu, coquelicot brûlant
Il crame les sentiers, il enflamme les bois,
Dont les souches deviennent d’un noir accablant.
Au charbon tout à coup suit un ciel indigo
Ou un bleu électrique ou bien d’aigue marine.
Une geste fantasque des bras de galago
Agite des nuées d’opale et de bleuet
Et abreuve d’ondées les gris chardonnerets.
Que la pourpre soudain qui embrasait les cieux
Vire à l’incarnadin ou bronze purpurine
Ne nous étonne plus car des tons audacieux
D’argent de tourterelles ou de gris anthracite,
Embrument de rosée la mousse des prairies.
Des traînes platines ou blanches de dulcite,
Perlent leur dentelle par pure coquetterie.
Les couleurs du temps sont indéfinissables
Liqueur jaune de soufre, orpiment inclassable
On croirait voir briller dans cette spéculaire
Étoiles et planètes de toute l’astrée.
Lumières scintillantes et lueurs ocrées,
Ou spectre rougeoyant du vieil astre solaire
Embrasent à nouveau les brisants sur la mer.
Et la paille dorée à l’ambre clair et doux
Chante paisiblement son rêve de chimère.
Le soleil couchant au teint fauve acajou
Se traine mollement, flottant sur le rivage
Il glisse et tombe enfin magnifique présage
Qu’un lendemain radieux saura ressusciter.
Les vagues indolentes se cassent doucement
Berçant de leur remous les reflets mordorés.
Une haleine d’air chaud ondule des ramures
De feuillage chargé de corolles exotiques
Et exhale un parfum de miel et de jasmin.
Les arbrisseaux sauvages se cabrent et murmurent,
Les petits caféiers, emblème aromatique,
Se campent fièrement sur le bord des chemins.
Cœurs de palmiers jaloux de ce souffle soudain
Et cocotiers surpris par ce temps incertain
Meuvent leurs bras feuillus dans un geste étonné.
Le gazon meurtri par la chute des fruits
Couche ses fines tiges et s’évanouit sans bruit.
L’océan assoupi se meurt sur les galets.
Une chaude vapeur enveloppe la nuit
Et les voiles affalées, de toile chamarrées
Se lèvent sous l’empreinte de cette marée.
Les couleurs du temps sont indéfinissables
Vaporeuses suspensions infranchissables.
Le bleu du crépuscule offre un dehors violet.
Une lampe tempête adossée au portique
D’une case créole adresse ses reflets
Aux lambrequins de bois de rose festonnés.
Une chaise d’osier bascule et s’abandonne,
Poussée d’un va-et-vient d’une liane asiatique.
Un beau pelage noir se détache enfin
Sous les ondulations d’un immense félin.
Les yeux charbonnés sous la lueur exquise
Fixent le margouillat juché sur la remise.
Va-t-il soudainement bondir et dévorer
Le petit animal, ou bien le tolérer ?
Et le bel endormi s’évade tout à coup
Et saute prudemment sur un brin de bambou.
Au petit point du jour arrive la rosée
Qui baigne de ses larmes les menus lataniers,
Découvrant la nature métamorphosée
Un rayon lumineux vient caresser le sable
D’une langueur blonde insaisissable.
Et les premiers passants vêtus de paréo
Aux teintes anilines et fleurs de bananier
Dispersent au passage un parfum de coco.
Et les rouges toitures au teint capucine
Se parent de lianes et de frêles glycines.
L’horizon se colore d’un curieux bleu de perse
Tandis qu’au lointain se prépare une averse.
Les couleurs du temps sont indéfinissables
Gammes capricieuses, rondes incessantes,
Voûte colorée aux arpèges instables
Aubes céruléennes d’une vie naissante.
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